Critique de spectacle

La Place Royale ou l’Amoureux Extravagant de Corneille dans une mise en scène de François Rancillac par le théâtre de l’Aquarium (vu à Dijon au grand théâtre)

Il peut nous paraître légitime de nous interroger sur le choix du texte par le metteur en scène. Il semblerait en effet que le metteur en scène est voulu faire de cette comédie de Corneille, une sorte de drame psychologique sur l’altérité et la difficulté d’être soi. Le spectacle est empreint d’une morne déraison et bien que les acteurs jouent vraisemblablement avec un naturel blafard malgré quelques ressorts de frivolité (notamment pour le personnage de Phylis), l’ensemble crée un rythme ronflant, et le problème ne vient pas seulement des acteurs mais surtout de la vanité du texte.

Le metteur en scène semble avoir choisi ce texte pour ne rien en faire de probant et de véritablement dynamique. La mise en scène est d’un superflu qui ne lui donne aucun pouvoir de rétention poétique en ce sens que la déconstruction de l’espace théâtral ne donne aucune ampleur à la profération de la parole. Les comédiens restent constamment sur scène sans jamais la quitter. Chaque élément scénique du plateau notamment les toilettes qui pourraient évoquer si on se place dans le cadre d’une mise en scène contemporaine, les loges mêmes du théâtre dans une sorte de pieuse distanciation, ont certes pour avantage de ne pas perpétrer les entrées et les sorties des personnages de manière scrupuleusement « classique », ce qui permet aux comédiens de rester sur scène et d’être vus dans une demi zone d’ombre, d’attendre patiemment assis ou accoudés sur les coiffeuses en se préparant à rentrer dans la lumière du plateau. L’espace de jeu est de fait réduit à une sorte de quadrature pernicieuse, qui permet aux comédiens de s’affronter et d’affronter les regards de leurs amants dans cette sorte de promenoir que peut constituer la « Place Royale ».

Montaigne explique à propos de la difficulté de parler de soi et du monde dans la littérature que le monde est une branloire pérenne ; la pièce de Corneille en constitue une parfaite explication. Il me semble donc que l’interprétation du metteur en scène de cette pièce en tant que vanité ne semble pas rendre suffisamment compte du caractère comique et entièrement déraisonnable de la pièce. Les mécanismes sont trop rudes et sont bien trop visibles et les changements bien trop prompts pour paraître vraisemblable. L’interprétation textuelle du metteur en scène peut pourtant trouver des défenseurs notamment dans les Maximes de la Rochefoucauld qui écrit : « Si la vanité ne renverse pas entièrement les vertus, du moins elle les ébranle toutes. » (Maximes, 388).

Les personnages semblent en effet empreints d’une grande vanité et sont pleins d’une pulsion scopique c’est à dire d’une volonté d’épier et de communiquer par le regard, dans la parure d’un dialogue amoureux. Seulement, quel besoin pour le metteur en scène de mettre un crâne sur la scène ? C’est un artefact inutile, d’autant que la présence de la mort dans le texte de Corneille n’est pas ce qui retiendrait l’attention de l’herméneute ; il y a certes une impossibilité des amants à s’aimer en dehors des conventions amoureuses et sociales, ainsi qu’une difficulté singulière de parler des sentiments avec sincérité et beauté tant l’inconstance est en fait le motif récurent de cette pièce, mais la tromperie n’est pas marquée par une once de perfidie, elle s’exprime dans des élans baroques d’une teneur comique assez artificielle.

La convergence du discours des amants vers la mort est inexistante, même si la pièce finit par la claustration d’Angélique, ce fait ne constitue pas un penchant vers la mort en tant qu’elle vide les êtres de leurs chairs l’amour est plutôt pensé dans l’instant présent, dans une consommation vaporeuse et dans d’aventureuses étreintes. Il n’est absolument pas question pour les amants du temps qui passe, et des êtres qui se consument d’où la justification de l’inutilité de la présence de ce crâne. De même que les premiers actes se jouent sur une sorte de tapis composé d’un amas de plumes pourpres qui seraient la matrice d’un univers moelleux et léger que pourrait figurer l’amour et la frivolité, une sorte de jeu amoureux dans lequel les amants pourraient se dévoiler. Il nous faut pourtant insister sur le très mauvais effet visuel de ce tapis empourprés de plumettes qui fait bientôt place pour le reste de la pièce à une sorte de paillasse, qui à défaut d’être véritablement un objet scénique, garde une fonction utilitaire plus probante et distingue parfaitement l’espace de jeu.

Quant aux costumes, ils se composent d’un bel équilibre qui nous rappelle le contexte de la pièce et nous permet aussi d’apprécier la dimension intemporelle de ce texte. Les comédiens jouent néanmoins ce texte avec une très belle verve et ponctue le texte d’une diction langoureuse et traditionnelle des alexandrins. Il nous faut aussi noter une belle innovation du metteur en scène par rapport à l’époque de Corneille qui consiste en ce que la comédienne qui joue Angélique pour se donner toute entière à Alidor et pour lui prouver sa foi, montre ses seins avec une très belle sensualité avant de remettre son habit. Ce geste constitue une belle entorse à la bienséance et semble être une des grandes trouvailles de la mise en scène, même si ce geste est largement suggéré par le texte, le réaliser véritablement dans le jeu en fait un détail pittoresque peu intéressant et même passablement pitoyable.

D’une certaine manière, l’ensemble même si il est d’une belle facture souffre de certaines longueurs, et le spectateur poussé par l’ennui et le sommeil perd l’attention des comédiens qui finissent par ne jouer la pièce qu’entre eux et plus aucune émotion ne semble pouvoir sortir de ce ring existentiel dont parle Monsieur Rancillac, à partir du troisième acte. Il nous faut aussi dire et sans peur d’attaquer un de nos plus grands dramaturges dont j’admire profondément l’œuvre que la Place Royale est une pièce passablement nulle, et qu’à vouloir faire preuve d’originalité dans la mise en ring de ce texte, on peut risquer de perdre l’adhésion du spectateur, qui exaspéré par tant d’extravagance et face à cette mise en scène d’un esthétisme douteux et d’une recherche quelque peu gruée quitte la représentation en éprouvant une vague sensation de mécontentement et de vide. C’est en cela que le spectacle devient un tableau semblable à une vanité où l’éphémère de la vie côtoie l’âpreté de la montre du spectateur qui attend patiemment la fin.

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