Critique de spectacle

L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau dans une mise en scène de Caroline Rainette au Verbe Fou à 12h00

Cette pièce nous plonge dans un univers à la saveur et au parfum proches des contes de notre enfance. Ce qui distingue cette pièce d’un autre conte, c’est qu’elle est l’œuvre puissante de l’imaginaire de Cocteau, qui se sert de l’univers du conte vers lequel cette mise en scène et cette fable même tendent, pour créer un véritable drame. Le texte, malgré ses accents parfois surannés, est d’une sensible poésie. Cette fable nous dévoile une tragédie politique où les enjeux du pouvoir échappent à la candeur et à l’insouciance, et surtout ne se complaisent pas dans des sentiments pour trop humains, que sont la tristesse et l’amour.

Ce texte nous montre la précarité d’une princesse encerclée par les conventions et par son fol désespoir, qui va recueillir et protéger l’assassin qui était déterminé à la tuer, poète dont la princesse a appris un poème « Fin de La Royauté » qu’elle récite avec énergie et dérision. Cette tragédie qui s’apparente à une intrigue de palais convoque une mise en scène puissante et évocatrice. Le décor d’un vieux château est figuré par de grandes tentures imprimées, un foyer avec le rebord d’une cheminée, et l’utilisation d’un chandelier qui se consume imperturbablement au cours de la représentation. Les costumes sont évocateurs de cet univers féerique, qui confine presque à l’horreur et ressemble de peu à une funeste cage de laquelle la reine ne peut s’échapper intacte.

Tiré d’un film de Cocteau dont il a lui même écrit le scénario, l’ensemble pourrait être un drame symboliste, tant le feu qui y brûle dévore les êtres et les mènent à un total anéantissement. En effet, les choses qu’ils souhaitent ardemment obtenir du monde, ne sont pas réalisables, tant la jalousie et les machinations des hommes et de la politique les empêchent de réaliser véritablement leur ambition et leur rêve. L’interprétation des acteurs est d’une précieuse justesse, ils savent parfaitement dompter le temps et effacer les frontières du réel, pour nous emmener, nous rapprocher de leur monde.

Nous pénétrons dans l’intimité de ces personnages, au cœur et à la source de leurs conflits les plus enfouis. La scénographie évoque une fenêtre ouverte sur la nuit et le jour, figurée par un éclairage différencié qui donne plus de consistance au spectacle, de même que la mobilité et la force de suggestion des objets permet de représenter différentes pièces de la maison sans rien perdre de la force du jeu d’acteurs, avec une musique qui nous fait frémir entre chaque tableau. L’histoire est captivante, les comédiens sont excellents, et la mise en scène transmet bien cet univers du conte, mais d’un conte cruel, où l’âme est sans cesse tourmentée et ne connaît pas de répit.

C’est dans ce drame grandiloquent que le spectateur est plongé, et ce avec un plaisir renouvelé sans cesse par la justesse et la beauté de l’ensemble. Un grand moment de théâtre et de poésie pendant lequel il vous faudra percer le mystère de cet Aigle à deux têtes, et peut être retrouver des images de notre monde moderne dans les conflits liés au pouvoir et à la domination, et juger par vous même, la profondeur du conte que cette compagnie nous livre.

 

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