Critique de spectacle

En Attendant Godot de Samuel Beckett dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent par la Compagnie Studio Libre ( Vu à Dijon pour Théâtre en Mai)

Pris d’un malaise d’être et dans une chair aux plaies irrémédiables, deux êtres tentent d’échapper au temps mais se vident de tout au point de s’oublier dans une méditation sans fin, où nulle renaissance ne permet d’espérer le moindre salut.

L’attente… Cette mise en scène est une très belle interprétation du texte de Beckett, notamment à travers la performance des comédiens qui réalisent avec une belle sérénité le vide cosmique de l’entendement et de l’imagination que la pièce crée pour le spectateur.

La mise en scène semble saisir avec une acuité redoutable les enjeux de la pièce, et la présence d’un rocher et d’un arbre décharné évoquent bien ce désert d’idées, d’hommes et cette immobilité des personnages. La présence du sable renforce cette notion de désert mais peut être encore plus ce procédé de désertification, puisque pour quitter l’espace du désert et se présenter à l’avant-scène, il suffit d’un seul petit saut. Le désert est ainsi vu comme un processus qui envahit les personnages, un espace qu’ils veulent quitter mais qu’ils ne parviennent pas à quitter réellement et définitivement. Leur besoin de départ et de recherche d’un nouvel horizon sont renforcée par leurs peurs de la séparation et ce coin de désert devient un espace familier et rassurant pour eux mêmes même s’il rêvent de le fuir et de rejoindre un hypothétique Godot.

Cette représentation presque iconographique de l’espace oblige le spectateur à dépasser l’hermétisme premier du texte. En effet, il nous faut souligner la grande beauté évocatrice (au sens étymologique du terme) de cette mise en scène, qui parvient par le rire et un jeu clownesque d’une très belle trempe, à nous rendre familier ces personnages et à nous faire partager leur intimité, leurs déboires, et surtout leurs grandes interrogations. Il serait vain ici de tenter d’expliquer la signification de la pièce, d’autant que l’interprétation peut être différente en fonction de ce que vit chacun, mais cette mise en scène, à travers une innocente légèreté accentue sur l’inversion des éléments entre eux et sur une farouche caricature de la tendance psychologisante de l’homme à tout expliquer. Cet effet s’accentue par de petits éléments de décors, des jeux de lumières ou même des mimiques. Il n’y a en effet rien de trop, tout est à la mesure de cette immensité mystérieuse du dialogue, si vraiment on peut considérer la pièce comme un dialogue.

Il y a une véritable impossibilité de l’échange qui s’exprime à plusieurs reprises, notamment dans la faillite de la rencontre avec Godot, qui ne leur répond jamais. Leur confrontation au monde s’opère dans un dédoublement de leur identité dont le texte montre bien les soubresauts et que les comédiens transmettent avec une incroyable subtilité. Ils sont poussés d’un côté à l’excès, dans les vices les plus affreux de l’homme, mais laissent parfois échapper une certaine bonté, un élan de sympathie ou une émotion qu’ils ne contrôlent pas et qui s’empare d’eux. C’est aussi ce lien d’amitié que les comédiens intègrent parfaitement dans leur jeu, et de fait les personnages forment bien les éléments d’un conte, d’un mythe presque originel sur le sens de la vie.

Ce spectacle est d’une impérieuse excitation, le spectateur jubile et les personnages aussi, Jean-Pierre Vincent livre ici une mise en scène de ce texte d’une très grande volupté.

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