Critique de spectacle

Page en construction dans un texte de Fabrice Melquiot, mis en scène par Kheireddine Lardjam par la Compagnie El Jouad

La compagnie El Jouad nous emmène pour un voyage intérieur au cœur de nos stéréotypes et de nos préjugés les plus enfouis, à travers l’histoire singulière de son metteur en scène Kheireddine Lardjam, qui interroge au cours de son spectacle, le sens et l’utilité politique de son théâtre et de l’espace théâtral qu’il entend promouvoir dans son travail. La représentation consiste alors en une mise en abyme spectrale, ou plutôt une sorte de quête intérieure d’identité. Mais cette introspection dépasse largement le cadre des mots et de la parole, elle se plonge au cœur d’un univers de super-héros que le texte et la mise en scène révèlent admirablement.

En effet, Fabrice Melquiot a su créer un texte à la fois très réflexif en usant d’une symbolique incroyable, qui opère un retournement culturel et un accès plus puissant à l’essence même de l’identité du personnage-metteur en scène qui raconte son histoire. Un véritable jeu s’instaure entre les deux complices, sans que ni l’un ni l’autre ne puissent se séparer, leur collaboration artistique est indissociable de leurs histoires et de leur art même. Le caractère très actuel de cette création lui donne une dynamique pleine d’une dérision certes liée au non-dits et aux souvenirs terribles de la guerre d’Algérie mais profondément ancrée dans une souffrance inavouée, dans la prise de conscience de cette grande fissure qui traverse la Méditerranée entre l’Algérie et la France, et que seul le metteur en scène engagé peut appréhender dans son travail de lutte contre l’oubli.

Ne pas oublier… Ce travail de mémoire que la compagnie El Jouad invoque, répond à un désir de faire corps avec l’altérité, avec l’hostilité, dans les effusions d’une bonté et d’un amour qu’aucun mot ne peut véritablement traduire. Cette mélodie de la fragilité transparaît dans l’interprétation des chants traditionnels du Diwan au cours du spectacle, qui créent une douce mélopée qui ouvre l’horizon du pays natal et qui montre aussi avec une grande beauté rythmique, l’enracinement du metteur en scène dans son pays.

La transformation en super-héros devient dès lors un acte théâtral éminemment impulsif, en réaction à la super-héroïsation de Mahomet en Algérie et au pouvoir affabulateur de la religion. Le texte se présente comme une sorte de soliloque où le comédien dans sa quête rencontrent différents personnages, qui présentent tous une forme d’incomplétude et d’ignarerie. La naissance d’un super-héros proprement algérien pour faire face à sa propre exclusion, c’est là l’idée saugrenue et géniale de Melquiot pour symboliser cette fracture que les mots seuls ne peuvent discerner, cet espèce d’état de semi-indolence entre le fait d’être français et d’être vu comme un autre, différent, et celui d’algérien vivant en France, loin de tout…

La mise en scène convoque l’univers des comics grâce à un dispositif vidéo d’une très belle facture, qui permet de projeter des dessins au graphisme percutant.
Le metteur en scène interprète le rôle avec un très grande ardeur, il devient presque une sorte de clown super-héros que l’existence enhardit, que les souvenirs envahissent mais dont la mémoire ne défaillit jamais.

Avec ce spectacle, la compagnie El Jouad montre encore avec plus de force l’étendue de son talent et fait émerger la reconnaissance d’un théâtre contemporain renaissant et singulier. L’avenir du théâtre se joue là, dans ses effluves d’une composition entre les restes d’un macaronique burlesque et bas mêlés à une profonde quête de soi, ce spectacle est bien une parodie d’un parcours initiatique, mais terriblement amère et caustique.

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