Critique de spectacle

Le Prince Travesti de Marivaux dans une mise en scène de Daniel Mesguich par la Compagnie Miroir et Métaphore

Tous les jours jusqu’au 26 Juillet (sauf relâche le lundi) au Chêne Noir à 18H45

La comédie du langage que distille Marivaux devient aussi dans ce spectacle une réflexion sur le paraître et les faux semblants, sur les liens d’attachements qui peuvent unir des personnes ou les désunir. Cette pièce de Marivaux est d’une très grande perspicacité puisqu’elle vise à démontrer combien les rapports amoureux s’enflent derrière la jalousie et la méchanceté. Ainsi, la mise en scène composée d’un dispositif de petits murs de miroirs, sublime cette relation. Dans le miroir, nous pouvons nous voir tel que nous sommes mais nous ne pouvons pas pénétrer les émotions et les desseins de l’âme. L’image d’un personnage au delà du miroir que l’on distingue dans l’opacité révèle bien cette ambivalence du miroir, et son pouvoir aussi bien séducteur que trompeur.

Cette pièce montre aussi des personnages qui tentent de se rapprocher notamment Lélio et Hortense, mais l’ensemble forme une lamentation à l’impossibilité, une ode dithyrambique de l’inaccessible comme quelque chose d’angoissant mais de sauvagement excitant. La spectacle, avec la multiplication des effets de lumières et des musiques, la création d’atmosphères différentes selon la portée du propos, révèle bien cette complexité étriquée de l’intrigue et la profonde controverse qui règne dans les cœurs aimants ou envieux, sans qu’on puisse définir la nature même de ses contradictions. Le décor miroitant composé d’un petit plateau au centre qui nous rappelle déjà l’entrée d’un théâtre nous montre bien cette contradiction d’un jeu où ce qui devrait être caché peut être vu, où ce qui devrait être un secret n’en reste pas un très longtemps.

Les comédiens ainsi évoluent sur ce plateau d’airain sans jamais réussir à maîtriser et à percer les ambitions de chacun, excepté pour la figure d’Arlequin qui fait montre d’un zèle concupiscent parfois scabreux mais dévoué à servir ses intérêts et à retirer le masque. Il semble en effet être le seul à démasquer et à masquer, tantôt il diffame, tantôt il loue, tantôt il trompe, mais il respire une sincérité désarmante et son personnage est admirablement bien joué par le comédien Alexandre Levasseur, devant qui le spectateur reste ébahi. Son rôle est de porter la pièce et d’intriguer pour tout un chacun, bien plus, il fait respirer le jeu des autres comédiens et libère l’ardeur étouffante et pour trop labile des sentiments bon ou mauvais des autres personnages.

Les costumes de ce spectacle sont sublimes et nous font rentrer dans cet univers imaginaire et fantasmé d’apprêts royaux, mais d’une royauté figée dans un univers presque fantasmagorique et lointain, dans la conscience de ce que la beauté ne naît pas de l’instant, mais du théâtre qui l’entoure. Cette mise en abîme du théâtre restitue l’épreinte d’un questionnement essentiel, celui de savoir qui nous sommes et pourquoi nous agissons ainsi. La déraison des personnages à vouloir désirer l’indésirable, à vouloir saisir le vif suc du langage pour en déterrer la musicalité et par des effets de rythmes et l’utilisation de figures de remplacement, d’insistance et de répétition, exprimer la grâce inconcessible de leur créance, devient dès lors une veine chimère, et la mise en scène construit avec les effets de lumières et de sons, ces différentes ruptures qui barrent la route à une expression pure et directe du désir.

Ce spectacle montre avec beauté l’éphémère conscience de l’être, généreux et sincère. Les gentils restent gentils et le méchant, méchant. Cette représentation est un vrai délice, fruit d’un travail et d’une expérience très profonde du théâtre et de Marivaux, qui nécessite dés lors d’être vue pour être vécue intérieurement, avec plaisir, tout simplement.

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