Critique de spectacle

Richard III Loyaulté Me Lie (d’après William Shakespeare) par le Théâtre de L’Union

Un spectacle de Jean Lambert-wild, Élodie Bordas, Lorenzo Malaguerra, Stéphane Blanquet, Jean-Luc Therminarias et Gérald Garutti

au théâtre Nouvelle-Génération, CDN de Lyon

Jean Lambert-wild et Gérard Garutti ont traduit et adapté Richard III de William Shakespeare, dernière partie d’un long cycle de tragédies historiques, dont Richard, duc de Gloucester et roi usurpateur est une figure tutélaire. Ce personnage évolue dans la tourmente d’Henri VI qui raconte justement la fameuse guerre des deux roses et la bataille sanglante entre deux familles les Lancaster en place contre les Gloucester qui aspirent au trône d’Angleterre. La figure de Richard est ainsi la figure d’un être malingre et même difforme selon ses propres dires, un être qui est prêt à s’enfoncer jusqu’à la lie pour pouvoir arriver à ses fins, et qui à déjà vécu tellement d’horreur, qu’il n’est pas à çà près pour le dire plus explicitement.

Cette adaptation de fait est un vrai coup d’éclat puisqu’elle réduit cette noire tragédie à un champ de foire, mais une foire fallacieuse et monstrueuse. Les figures de bouffons et les prémices d’un univers forain sont peintes dans un décor de théâtre de marionnettes sur plusieurs triptyques et niveaux et qui découvrent au cours du spectacle différents dispositifs : un stand de tir pour des ballons, des jeux de spirales hypnotiques, une coiffeuse avec ce qui pourrait évoquer une loge, un marteau de foire, un stand de lancée de balles sur des obstacles (qui figurent la cour des Lords) entre autres et qui servent la composition dramaturgique avec une docile complaisance.

Mais le plus impressionnant dans ce travail, c’est que ajouté à cette immense machinerie foraine, agrémenté d’un travail intense sur les lumières et la manière de révéler les corps, ainsi que d’un travail sur le son et des voix microphoniques pour interpréter certains personnages, la pièce se dévoile à travers deux comédiens seulement ! Jean Lambert-wild qui joue le rôle de Richard, et Élodie Bordas qui joue à peu près tous les rôles et qui démontre une capacité de permutation et de changement assez incroyable. Ce qui est aussi sans doute le plus jouissif, c’est qu’on sent qu’ils s’amusent, la proximité avec le public permet aussi cela, puisque les deux personnages interagissent véritablement avec le public, comme dans une foire, mais une grande foire théâtrale à la manière de Shakespeare.

Cette adaptation a ceci de remarquable par rapport au texte de Shakespeare, c’est qu’elle se livre dans une traduction assez légère, mais qui garde les marques grandiloquentes propres au style du drame. Ainsi le personnage de Richard, figuré en clown-pierrot pernicieux devient une pâle figure de la mort, et joue son double jeu d’hypocrisie et de candeur, sa manière à lui de conquérir le pouvoir, en profitant de la mort du Roi son frère. Il faudrait sans doute reprendre le texte original et avoir l’adaptation en vis à vis pour rendre compte des différentes modulations, mais j’ai trouvé pour ma part (étant très friand de ce texte de Shakespeare) que Jean Lambert-wild et sa troupe restaient dans l’univers noir de la pièce tout en se permettant des libertés dans la manière de farcir cette noirceur, d’en faire une farce grotesque de notre humanité. Richard représente à lui seul la figure du « tout-faux » : faux-amant, faux-dévot, faux-ami, faux-courtisan, faux-guerrier, son courage se mesure à sa capacité de détruire et de mettre en défaveur tous ceux qui pourraient constituer un obstacle à sa démesure, même de simples enfants.

C’est un véritable maître d’arme redoutable et insaisissable, et l’interprétation qu’en donne Jean Lambert-wild est bien empreinte de cette langueur ironique et pâle qui cache un monstre de parole, capable de séduire des femmes jusque dans le deuil de leurs maris… Le travail technique d’apparitions de différents stands, de l’évocation même d’un palais avec le trône, ainsi que la mise en vie du décor à plusieurs reprises, revêtent une puissance assez effrayante, d’une horreur psychologique drôle parce que inconquise par le spectateur, toujours distant de cette phénoménale ordalie. C’est bien ainsi une orgie de cruauté qu’essaye de créer Jean Lambert-wild et ses collaborateurs dramaturgiques avec le travail des opérateurs du spectacle qui enfournent les différents rouages jusqu’à créer ce manège infernal du mensonge.

Il s’agit là d’un très beau travail mais qui nécessite tout de même une connaissance assez approfondie de la pièce originale, sans quoi on peut être vite perdu dans les méandres de ce personnage transbordé entre un bien coupable et un mal nécessaire.

Le fait que les personnages soient considérablement réduits, au delà d’un problème de compréhension pour celui qui ne serait pas assez au fait de la pièce, donne à la pièce les accents d’une véritable comédie et permet davantage de renforcer les traits de Richard, qui de fait est le personnage principal de cette pièce, qui souvent s’adresse au public avec un côté aguicheur. Cela contribue à renfrogner le personnage et à montrer qu’il est définitivement seul dans ses délires de pouvoir, abandonné à lui-même, ce que la fin de la pièce montre lors de la rêverie prémonitoire de sa défaite qui voit défiler tous ces crimes et presque l’heure de son jugement.

Il reste que le théâtre de L’Union dévoile là de belles mises en oeuvre dramaturgiques, doublées d’un talent inouï d’acteurs, et puis il s’agit tout de même de Shakespeare, dont l’univers est transbordé avec angoisse dans cette sournoise foire pleine de délices et de fantasmes, pour le pur plaisir du spectateur arraché à une vision mélo-dramatique du drame habituellement très ennuyeuse pour lui.

 

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