Critique de spectacle, Théâtre en Mai 2016

Ce qui nous regarde par la Compagnie du Dernier Soir, un spectacle conçu et dirigé par Myriam Marzouki

( Vu à la salle Jacques Fornier dans le cadre du festival Théâtre en Mai )

Le spectacle interroge sur différents points de vue et sous diverses références culturelles (cinéma, roman, faits de sociétés…) le rapport que l’on pourrait avoir par rapport au voile musulman et à la représentation personnelle et politique qu’on peut s’en faire de prime abord.

À travers ce spectacle conçu en écriture de plateau et en successions de tableaux, de récits, de discours, d’images d’archives, de photographies, où s’entremêlent les comédiens et les dispositifs scéniques, la dramaturge tente selon son projet : « un théâtre à la fois documentaire et subjectif, visuel et poétique, qui interroge non pas le voile mais les regards que nous portons sur le voile ».

La visée documentaire est bien là. En effet, il ne s’agit en rien d’un spectacle militant qui défendrait telle ou telle prise de position, il n’assène aucune vérité à la matière et laisse libre choix au spectateur de puiser dans les différents matériaux pour se faire sa propre idée, et se rendre compte que la vision du voile n’est ni une question culturelle, ni une question politique, mais n’est pas véritablement une vraie question… Un fait marquant dans le spectacle se situe dans les derniers moments où croyant à une résolution du problème, on assiste à une explosion de colère de la part des protagonistes qui montre en cela l’impuissance de trancher et de se mettre d’accord sur cette question, avant tout parce qu’il s’agit d’une question de choix individuel et de respect du sous-ensemble.

En cela, le spectacle n’érige aucune prétention d’apporter une solution, il fait interagir les matériaux divers entre eux et nous raconte finalement l’histoire du voile, des différents voiles entre le voile intégral et le foulard, l’histoire de son apparition, les conditions de son essor, de sa perception par ceux qui le portent pour honorer leur foi ou ceux qui n’en comprennent pas l’usage et y voit un signe d’asservissement. A cette visée documentaire s’ajoute une visée didactique. En effet, en plus de montrer des images et de les construire de telle sorte qu’elles parlent d’elles-mêmes, ces images parlent et tentent de nous enseigner une espèce de tolérance à l’égard du voile, construisent peu à peu une « dédiabolisation » autour des fantasmes que le voile peut susciter, et créent un débat, mais silencieux, muet. Il s’agit d’une sorte de confrontation des images du passé face à une appréhension des images présentes.

Il est assez difficile de savoir ce qu’il en ressort… Pour ma part, le spectacle n’alimente pas assez de matière poétique, et ne fait pas émerger de ses différents états des lieux des mentalités, un je ne sais quoi qui donnerait plus de pouvoir aux images et donnerait une turgescence politique à l’ensemble qui se rapproche pour trop de poncifs, ce qui est assez dommage car le spectacle comprend quelque moments assez juste et poétique, notamment le passage sur le rôle du poète décliné par le comédien Rodolphe Congé.

Les différents matériaux créent un effet de lourdeur et les dispositifs ne servent pas suffisamment le propos du spectacle, qui reste cependant très intéressant et très beau, mais auquel il manque de la poésie. Peut-être est-ce un choix de la dramaturge d’accoler les différents matériaux issus de la mémoire familiale, de la mémoire collective, de la société contemporaine, en les tissant sous forme d’un canevas et en les superposant à une réflexion objective sur la représentation de la femme voilée dans les différents domaines de la vie (dans l’art, dans leur métier, dans leurs humbles existences quotidiennes) ?

02_ce_qui_nous_regardecvincent_arbelet041.jpg© Vincent Arbelet

Il me semble que ce choix ne semble pas assez poussé dans ses retranchements, le déroulement est trop consensuel et les répliques et les différentes situations sont beaucoup trop attendues. De là à dire que le spectacle serait décevant et ne fonctionnerait pas, serait assez exagéré. Les comédiens dévoilent ce spectacle non sans une certaine harmonie et le musicien et régisseur Rayess Bek donne un certain éclat à l’ensemble, en ponctue l’impuissance, en édifie la rage. La musique permet de libérer certaines pulsions, mais elle ne sert pas suffisamment la matière du spectacle.

Elle n’est qu’un artefact, elle n’est pas suffisamment intégrée à l’appareil théâtral. En somme, ce spectacle ne nous raconte pas véritablement une histoire, il oscille entre didactisme et relativisme culturel. Peut-être est-ce pour laisser libre cours aux spectateurs de se raconter leurs propres histoires, et de relier les moments de ce spectacle à des situations qu’ils auraient pu vivre ou entendre parler par des amis, ou par la presse ?Néanmoins, cet objet théâtral interroge avec force la question du voile sans prendre parti. L’ensemble souffre de peut-être trop d’objectivité, et surtout il paraît manquer une cohésion qui fasse naître de chaque moment du spectacle un état d’incertitude permanent, d’interrogation constante, de questionnement essentiel ; cette cohésion est à peine présente et il reste des éléments discordants comme la femme déguisé à la manière des femmes des tableaux des grands maîtres hollandais et certaines scènes énigmatiques où elle chante en allemand du Schubert…

Il reste que Ce qui nous regarde donne force à des images vives qui sont liées à chacune de nos représentations, même si ces images n’ont pas porté leurs fruits en mon âme, je suis à peu près certains que d’autres ont pu être touché, la réception du spectacle dépend en grande partie il me semble ce que on pourrait attendre d’un spectacle dit « politique » qui parlerait d’un sujet dit « sensible » dans notre société. Ce qui selon constitue une certaine carence dans ce spectacle, c’est que l’écriture du plateau n’est pas assez poétique : ce spectacle manque de mystères et de doutes, il s’adonne trop à la certitude ou au jugement du spectateur, il ne remet à aucun moment en cause le « dépassement de la dualité », c’est à cet endroit qu’il devient consensuel et qu’il se perd dans une symbolique trop contemporaine parce que au delà d’une réflexion sur le voile, c’est aussi une réflexion sur la foi, mais elle n’est pas suffisamment exploitée…

En définitive, Myriam Marzouki semble avoir réussie son projet : « chercher à créer un spectacle dont le sens sera ouvert, vers la libre interprétation, multiple et contradictoire », mais ce projet n’est pas poussé jusqu’à l’extase poétique, il flotte…

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