Critique de spectacle, Festival d'Avignon IN

Lenz, un spectacle crée par la Compagnie Theater Montagnes Russes dans une mise en scène et une adaptation de Cornelia Rainer

jusqu’au 13 Juillet dans la Cour du Lycée St-Joseph

La metteuse en scène Cornelia Rainer a choisi de représenter la vie du dramaturge et poète allemand Jakob Lenz, appartenant au mouvement Sturm und Drang qui serait dès la fin du XIXème siècle une sorte d’anti-chambre du romantisme.En effet, tout comme Vigny en France qui s’intéressa à Chatterton, Georg Büchner rend compte dans une nouvelle du séjour qu’aurait effectué Lenz dans la demeure du pasteur Oberlin en 1777 au Ban de la Roche dans la vallée de Bruche dans la Bas-Rhin. Cornelia Rainer se sert donc de cette matière textuelle, de même qu’elle utilise également les notes du pasteur Oberlin pour cette création. Elle puise également dans l’oeuvre de Lenz dont on retrouve quelques morceaux de bravoures.

Ainsi le spectacle évoque par bribes la vie tourmentée de cet auteur, rejeté par les siens. On pourrait au demeurant le qualifier d’artiste maudit tant il reste dans l’ombre de Goethe. Depuis 1750, Les artistes sont nombreux à subir des malédictions, ils sont appréhendés tantôt comme des fous, des idiots, des enfants ou des sauvages plus ou moins irrévérencieux ou subordonnés. Lenz ne déroge pas à la règle. Il apparaît comme maudit parce que l’âme créatrice en lui est absolument invisible au monde, le moi créateur est indépendant du moi-mondain, du moi profond et du moi extérieur. C’est peut-être le sens de sa « retraite » auprès de la famille du Pasteur Oberlin, précipitée en vue de retrouver une certaine foi et de reprendre vie… La pièce dès lors n’apparaît plus comme un montage de texte, mais comme une véritable matière textuelle dont les comédiens s’emparent tels des bretteurs aux flancs sauvages et impénétrables.

Ainsi la pièce commence alors que le Pasteur Oberlin et sa famille (sa femme et ses deux enfants) reçoivent à sa table le poète et l’invitent à demeurer auprès d’eux. Au commencement, Lenz s’accoutume à cette vie paisible ponctuée par les prières, les repas, au demeurant monotone mais qu’il pense pouvoir être salutaire pour lui. La famille du Pasteur à laquelle il faut rajouter la bonne apprécie sa présence et sa conversation mais peu à peu, les relations se tendent, Lenz apparaît comme un être excentrique et peu probe, un être qui voudrait donner à voir et à entendre une nouvelle conception de la vie, un ordre mythique balancé par les mots. Il est dans une posture de remise en cause de la préséance de Dieu, posture qui irradie en elle toute la liberté qu’elle induit, se séparer de Dieu pour redevenir des hommes, conscient que le pouvoir de Dieu n’est pas une force efficace, de même que la poésie ne serait rien d’autre qu’une impuissante chimère…

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LENZ © Christophe Raynaud de Lage

Peu à peu, le spectacle interroge à travers l’histoire singulière de Lenz, les limites de la religion, interrogation qui deviendra d’autant plus forte au cours du XXème siècle… Le personnage de Lenz se confronte à la prégnance de la religiosité, dévoilant le prêche comme un moment d’insouciance plus que comme une véritable liturgie. Peu à peu chacun de membres de la petite communauté éprouve de la peur en même temps que dans la fascination pour ses brimades, il représente à lui seul la ruade que l’on retrouve dans l’affiche d’Abdessemed. Les comédiens interprètent le texte avec beaucoup de justesse et s’attellent à investir l’immense espace scénique, sorte de paysage fractal aux montagnes imposantes représentées sous forme de montagnes russes et formant un chemin autour de la scène principale composée de l’espace de la famille caractérisé par un vieux poêle ainsi qu’une table et quelques objets, et d’un autre espace, incertain lui, où sont positionnés le batteur et sa batterie, batteur qui inaugure et accomplit le spectacle en frappant de ses baguettes différentes parties de la scène ainsi que les objets scéniques, produisant un son qui serait comme la source angoissée de Lenz, l’image de son âme tourmentée.

La matière scénique forme ainsi une belle entente avec l’incarnation exaltée des comédiens, qui savent différencier leurs registres. De fait, le spectacle, par moments s’enflamme de soubresauts comiques quand il finit par ressembler à une tragédie, ne serait-ce que parce que Lenz est dissonant, fragmenté, imprévisible et peut-être même fou dans la pièce, l’exact contraire des autres protagonistes qui seraient eux dans la mesure et la circonspection. Il faut noter la performance incroyable de Markus Meyer qui interprète le rôle titre. L’ensemble ainsi se déroule sans encombrements, en nous dévoilant une histoire quelque peu loufoque à laquelle le spectateur ne saurait être indifférent. La compagnie Theater Russes signe avec Lenz un spectacle engageant qui inscrit irrémédiablement la metteuse en scène (dont les projets sont déjà nombreux) dans le paysage dramatique actuel.

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