Critique de spectacle, Festival d'Avignon IN

Ludwig, un roi sur la lune de Frédéric Vossier dans une mise en scène de Madeleine Louarn par le théâtre de l’Entresort

Le texte est publié aux Solitaires Intempestifs

Les comédiens de l’atelier Catalyse ont su nous donner avec l’appui d’une équipe artistique, un travail d’une remarquable beauté. Leurs interprétations du texte dépasse l’idée même qu’on pourrait se faire d’une représentation. Ce ne sont pas des comédiens comme les autres comédiens, non pas à cause des difficultés qu’ils traversent, mais bien parce qu’on perçoit chez eux une fragilité. Ils cheminent, nous font partager avec poésie le parcours de ce roi-fou Louis II de Bavière. Ils sont entourés d’une équipe artistique, qui a su diriger leurs travaux et au premier chef d’un auteur Frédéric Vossier qui a véritablement su leur écrire un texte à la fois onirique et sombre.

En effet, le spectacle repose sur une matière textuelle conçue en différents tableaux, qui évoquent différentes épisodes de la vie de Louis II de Bavière. Le mouvement s’étend de son enfance à sa naissance, même si les temporalités finissent par se confondre du fait même que Ludwig jeune et Ludwig vieux cohabitent parfois sur scène et s’échangent des répliques, donnent à entendre plusieurs voix dans un seul corps.

Le texte, quand on le lit paraît assez étrange car trop plein d’une écriture scénique, il paraît même surchargé d’indications scéniques. En vérité, quand on le voit dévoré ainsi par les comédiens, on se rend compte que l’auteur avant de concevoir un texte, semble avoir tenté de créer un théâtre d’images. Le texte apparaît dès lors comme une sorte de drame symboliste augmentée par la force et la présence des comédiens qui font apparaître cette figure de roi déchu avec une légèreté précieuse et rare au théâtre. Drame symboliste, peut-être en premier lieu par les thèmes qui y sont traités, le désespoir amoureux de Sissi, l’inadéquation de Ludwig au monde, le sentiment que toute notre vie nous serions coupable d’aimer…

C’est aussi un théâtre d’images qui cherche à pénétrer le spectateur, à le faire lui aussi voyager dans la lune, au sens presque de quitter ses certitudes, d’abandonner toute prétention à savoir ou à jouer, et de porter les émotions au point de briser tout le pathos possible, d’évacuer la tragique destinée du roi, de retirer tout caractère terrible à sa déchéance, et surtout d’éviter le repli intérieur du héros sur ses propres démons. La figure de Ludwig est appréhendée par Madeleine Louarn dans la dramaturgie à travers une représentation même du romantisme, c’est à dire une vision à la fois angoissée et incomplète, distante et rêveuse qu’on pourrait se faire de la capacité de l’homme à agir avec conviction et détermination.

Le texte de par son écriture assez poétique corrobore les actions qui y sont décrites et fait surgir à partir des images non plus seulement des images finies à l’aspect circonspect, mais bien du mouvement, le mouvement même du théâtre qui abandonne l’idée d’une maîtrise totale et qui se dépouille de toute prétention. Les corps révèlent des blessures en même temps qu’ils nous irradient de leurs présences. Ils s’approprient l’espace par un travail chorégraphique (dirigé par Loïc Touzé et Agnieszha Ryskiewicz) qui tente de propager leurs présences et les sentiments terribles qu’éprouvent les personnages.

ludwig
© Christophe Raynaud de Lage

Une véritable incarnation s’opère, une incarnation qui serait une dévoration puisque les comédiens endossent parfaitement la souffrance qui caractérisent les figures qu’ils illuminent de leurs talents et de leurs précisions. Ils sont également accompagnés par des musiciens (Rodolphe Burger et Julien Perraudeau) qui font battre le geste musical avec le geste chorégraphique en provoquant une non-danse, une danse qui ne serait pas dansée mais qui resterait intuitive, intérieure, silencieuse, semblable au geste impérissable d’une statue qui nous tend la main même après deux mille ans d’existence.

Ludwig, un roi sur la lune devient dès lors une mise en abyme presque totale de la différence et du handicap… Le théâtre est redoublé dans la dramaturgie par l’état d’incertitude constant qui y règne et la construction des châteaux avec des cubes de bois, symptôme de la folie des grandeurs de ce roi présenté comme un éternel enfant, font de lui une figure plein d’une triste candeur. C’est bien l’inadaptation au monde que raconte ce texte, et que nous raconte les comédiens de l’atelier Catalyse, en allant du détachement comique à la transe gravée sur leurs visages et dans leurs mouvements.

L’ensemble part de l’irrationnel et de l’irréel pour nous mener à prendre conscience de ce que le théâtre naît non pas de la perfection ou de l’auto-suffisance mais bien d’un collectif tissé du même écheveau respiral, qui s’avance pour dire en toute lucidité la folie qui nous prend parfois et contre laquelle nous ne pouvons rien, rien d’autre que d’écouter les sentiments qui nous emplissent, et Ludwig meurt, précisément parce qu’il n’écoute pas les ardeurs de son cœur et la propension de son désir, il meurt parce qu’on le dit fou alors qu’il porte en lui la vérité de sa souffrance.

Jean-Claude Poliquen donne une interprétation magnifique de ce rôle et incarne la déchéance du roi avec une fragilité déconcertante, pas de cris, non, aucun hurlement, mais simplement une puissante quiétude déportée par l’amour. Les comédiens dans tous les rôles qu’ils interprètent, que ce soit Wagner, Sissi, des ministres, portent en eux la promesse d’un théâtre généreux, et Madeleine Louarn crée véritablement avec eux, non plus seulement une pièce de théâtre, mais une leçon de vie et d’humanité, peut-être même une belle leçon de théâtre…

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