Critique de spectacle, Festival d'Avignon IN, Spectacles du Festival d'Avignon IN présents à Lyon cette saison

Truckstop de Lot Vekemans dans une mise en scène d’Arnaud Meunier, une création de la comédie de Saint-Étienne

Joué à la Chapelle des Pénitents Blancs, dans le cadre du festival d’Avignon

Il s’agit du premier texte monté en France de cette auteure néerlandaise (l’ouvrage est disponible aux éditions espaces 34). Il s’agirait d’un texte écrit pour la jeunesse, même s’il comporte en réalité une haute conscience politique et qu’on pourrait le lire comme la description d’une déchéance économique et humaine poussée par la concurrence et la volonté de faire du profit. Le texte se définit dès lors à travers plusieurs axiomes qui incarnent différents projets des personnages, et c’est bien l’opposition de ces différents projets qui propulse l’action du drame.

Ainsi, la pièce se définit par la confrontation : la mère voudrait rénover et réagencer le restaurant point-relais « Truckstop » pour attirer plus de clients et brider sa fille Katalijne pour l’empêcher d’être proche de Remco. En effet Katalijne et Remco deviendront peu à peu des sortes d’amoureux, mais des amoureux enchaînés à l’impuissance. Remco voudrait devenir camionneur et prendre un crédit pour se procurer un camion mais la banque le lui refuse, de plus il semble même attirée par Katalijne. Katalijne quant à elle est la figure féminine de cette pièce, elle s’inscrit dans une sorte d’adolescence prolongée alors qu’elle est âgée de 18 ans et qu’aucune capacité propre ne lui appartient. Elle se situe dans une projection perpétuelle d’elle-même où elle voudrait quitter sa mère pour partir avec Remco sur les routes pour voyager en camion. Les projets ne se réaliseront pas parce que une sorte de terrible tragédie va émerger de cette confrontation, catastrophe qui anéantit et qui épuise toutes les possibilités du drame.

truckstop

L’ensemble du récit se situe dans un retour sur le passé, les temporalités sont dissoutes dans une sorte d’enquête qui tisse le dénouement du récit en même temps qu’elle en démontre les nœuds tragiques. L’ensemble forme presque une reconstitution de l’action passée, la confrontation est rendue avec une grande cruauté puisqu’elle est à l’origine même de la mort des protagonistes. La scénographie de Nicolas Marie nous conduit dans le Truckstop dans lequel le monde extérieur n’est présent qu’à travers les fenêtres. La seule présence du monde extérieur dans le Truckstop, c’est bien Remco qui vient visiter Katajline malgré toute la désapprobation de sa mère, cette présence douloureuse pour la mère devient bientôt pour Katalijne une présence nécessaire, rassurante.

Katajline incarne une certaine candeur en même temps qu’elle semble répondre aux symptômes d’une sorte de maladie jamais nommée dans le texte. Elle est sujette aux crises d’angoisses et à l’hystérie, elle porte en elle la maladie de la démesure, maladie de l’espoir et de la libération, folie salvatrice du rêve et inconscience de la jeunesse, le personnage de Katalijne nous ressemble de part les projets qu’elle porte et qui ne germeront pas, qui ne peuvent pas germer. Remco apparaît comme un être fragile qui au plus proche voudrait protéger Katalijne mais qui apprenant en quelque sorte ses difficultés apparaît peu à peu comme voulant partir travailler dans un autre pays. La mère quant à elle demeure circonspecte et oscille entre la colère et la douceur, prévenant par-là les dangers de la démesure.

La scénographie dès lors nous dévoile ce lieu clos comme au préalable semblable à une sorte de havre de paix au milieu d’une zone industrielle, sorte de lieu de refuge dans lequel notre âme s’épanche dans la bonne cuisine faite maison et qui s’éloigne sans cesse du besoin et de la folie des grandeurs. Ce lieu apparaît comme une sorte de purgatoire de la mondialisation, un lieu de l’attente figé entre deux mondes, ballotté entre deux êtres : une mère et sa fille. Les comédiens incarnent ce texte avec une grande force, il nous font revivre cette histoire en mettant leur présence à l’abri du monde, dévoilant bien toutes les obsessions qui tiraillent chacun des personnages, et donnant à voir et à entendre avec une grande clarté et parfois même avec beauté les soubresauts de jeunes gens et les retenues d’une mère sans jamais défaillir ou perdre l’équilibre dramaturgique…

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