Critique de spectacle, Cultures d'Outre-Mer, Festival d'Avignon OFF

Le Bel Indifférent de Jean Cocteau dans une mise en scène d’Aliou Cissé par la compagnie Tropiques Atrium (Martinique)

à l’Espace Roseau, les jours pairs à 14h10 (en alternance avec L’Orchidée Violée) avec Astrid Mercier (comédienne) et Aliou Cissé (comédien et metteur en scène)

Aliou Cissé nous livre une belle représentation composée d’un matériau essentiel : l’oeuvre de Jean Cocteau. Il s’agit avant tout d’un soliloque adressé. Une femme interprétée par Astrid Mercier inonde un homme de son amour en même temps qu’elle lui reproche ses inconséquences et sa terrible distance. L’homme est interprété par Aliou Cissé, un homme de silence et de glace… En effet, la comédienne soliloque face à un homme qui reste pantelant et muet.

L’histoire évoque l’acharnement d’une femme qui voudrait que son amant lui appartienne tout entier et qu’il cesse de l’abandonner sans cesse. Ce texte soulève quelque chose de la condition féminine et la comédienne découvre bien quelque chose de l’ordre de la fragilité et du sacrifice d’amour. La scénographie évoque un salon dépouillé : on y retrouve une chaise depuis laquelle l’homme est assailli par les exhortations de son amante, à parler, à révéler la vérité. Au centre de la scène se situe une sorte de table-basse sur laquelle est posée un téléphone nous plongeant dans les années 50, de même que les costumes s’approchent de cette temporalité.

Il s’agit d’une sorte de huis-clos où les personnages fermés sur eux-mêmes, s’ils sortent, s’abandonneraient l’un l’autre et se sépareraient dans la douleur. Or il n’y a que l’homme qui sort et la femme qui souffre pour résumer trivialement la situation. Le spectacle s’insurge dans le silence et le cri et l’homme s’obstine dans sa prostration tandis que la femme offre sa vie toute entière à quelqu’un qui n’en serait pas digne et qui devient son propre mutin. La fable de Cocteau dépasse les simples affres d’une histoire d’amour, il nie la possibilité de l’amour, en déréalise le sentiment, au point de provoquer l’acharnement et l’attachement obsessionnel au lieu de la liberté et de la confiance que chacun s’offre l’un l’autre. Une vision noircie de l’homme prédomine dans ce texte comme le sombre pressentiment de ce qu’aucun mot ne sera prononcé par lui. La détermination du comédien à ne pas parler et à rester stoïque, tandis que la comédienne se confond en émotions contradictoires dans un jeu maîtrisé et puissamment féminin forment un balancement délicieux.

Aliou Cissé nous livre ici un objet théâtral singulier, inspiré d’une atmosphère rugueuse et peu propice à l’amour et pourtant on sent le corps de la femme traversé par mille sensations, peut-être aussi parce que Astrid Mercier (qui prend dèja en charge le personnage de L’Orchidée Violée les jours impairs) est incontestablement une grande comédienne !

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