Critique de spectacle, Festival d'Avignon IN

La Dictatura de Lo Cool dans une mise en scène de Marco Layera par la compagnie la Re-Sentida

Jusqu’au 24 Juillet au Gymnase du Lycée Aubanel

L’ensemble se teint d’une grande connotation politique, Marco Layera a voulu représenter une classe sociale particulière, celle d’une bourgeoisie intellectuelle et bien-pensante, et le choix de cette représentation reste justifiée. Elle est le symptôme même d’une certaine décadence de notre société, de la décadence même de nos valeurs qui ne reposent sur aucun socle solide. C’est en un sens proche de la perte de sens du politique face aux manigances politiciennes dont parle Olivier Py dans son édito qui serait mise en abyme ici, en veillant à produire chez les personnages et notamment chez le personnage central et énigmatique du ministre de la culture, un fracas immense avec cette prise de conscience. La décadence est présente non pas seulement dans l’épaisseur des personnages, elle se manifeste dans la scénographie, dans l’ambiance festive, dans la consomption des désirs portés par une excitation délétère. Ce qui se présente comme une fête organisée par ses amis en l’honneur de sa récente nomination au poste du ministère de la culture se découvre bientôt comme étant une révolution politique. Cet homme prétend changer l’attribution des postes clés de son ministère et au lieu de les donner à ses amis, préfère les confier à des gens issus des minorités ou de formes d’arts émergents encore peu représentés dans les institutions, légitimant ainsi les combats que ces différentes minorités et ses différents groupes portent sur l’espace public sans recevoir toute l’attention nécessaire à leurs épanouissements.

La pièce irrigue un je ne sais quoi d’inconstance et de frivolité passagère en même temps qu’elle est une satire politique d’une violence dramaturgique infinie. En ce sens, elle serait proche de Baal de Brecht. On a même l’impression d’y trouver des similitudes, non pas seulement dans l’excentricité du ministre de la culture, mais bien dans tous les renversements qu’il propose. On retrouve une esthétique du chaos provoqué par des mots qui blessent, mais qui sont pourtant d’une lucidité politique sur la vie humaine imparable.

On retrouve cette même critique d’une bourgeoisie décadente et orgueilleuse, persuadée de détenir la culture et les fonds de savoirs et d’argents nécessaires pour prétendre à la diriger et à en donner les perspectives.

Les comédiens évoluent sur un plateau quelque peu bling-bling, qui se construit en plusieurs espaces. Il représente une sorte de grand loft dans lequel les différents espaces se conjuguent. L’espace en arrière plan se construit autour d’une sorte d’étage. On y découvre l’intérieur avec précision à travers le travail de la caméra qui suit aux corps les comédiens quand ils quittent le terre-plein central. Cet espace est une sorte de lieu alternatif, en tout cas représenté comme tel. Les pièces sont peintes ou plutôt décorées comme ces immeubles désaffectés que l’on retrouve parfois convertis en résidence artistique, où des artistes investissent chaque pièce et créent un atelier imaginatif et ouvert, une représentation qui dépasse les limites même de la représentation.

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© Christophe Raynaud de Lage

Les pièces sont donc des espaces métaphoriques ouverts hautement symboliques, soit du fait même d’un art bourgeois qui imagine et définit ce concept comme art, soit plutôt d’une renaissance des arts, car cet espace est bien en marge des institutions culturelles. Dans ces différentes pièces pourrait se représenter l’habitation de l’art, le fait qu’au contraire de faire naître un sentiment d’universalité reconquise, l’art nous porterait au fragment, à la confusion, il nous terroriserait dans nos fondements.

Le ministre de la culture devient dès lors une sorte de monstre cosmique rageusement révolutionnaire et la fable tend à rejoindre notre imaginaire collectif lié à la décadence. Les moyens vidéos et technologiques utilisés pour renforcer cette vacuité de l’instant mettent en perspective le désespoir de cette classe pseudo-dominante, qui sentant son incapacité à réagir aux propositions de leur ami, s’innerve dans une douleur enragée et s’insurge contre ce potentat.

Un personnage est assez intéressant et se distingue des autres : il s’agirait d’une sorte de parodie d’Angelica Liddell, ce personnage loufoque et en même temps rituel serait pour Layera le symbole d’un art apprécié par les « bobos ». La convocation d’Angelica Liddell sur le plateau participe d’une auto-dérision implacable que l’on retrouve à de nombreuses reprises dans le spectacle.

Marco Layera utilise une esthétique débordante et son spectacle met en abyme les inégalités de richesses qui fonde le principe premier de nos sociétés. Le fait de représenter la femme de ménage en costume d’ours est en cela révélateur des limites infiniment non limités de ce dont on est capable pour s’amuser, faisant bien-sûr écho aux mascottes de Disney-Land, et encore une fois à cette exploitation capitaliste trop fière de sa réussite et de sa pérennité…

Face à cette fête se déroule dans la rue une sorte de révolution, encore accentuée par la beauté qu’on lui confère dans le discours. Le sang recouvre bientôt les comédiens, la violence naît de l’imposture et le massacre de l’indignation. Le dramaturge nous livre en dernière instance une vision cauchemardesque d’une société en déliquescence du fait même de l’incapacité même de ses élites à en résorber les plaies. L’impuissance politique est alors mise en abyme avec force, et l’échec de ses bobos à se rapprocher des travailleurs est cinglante et irréversible.

Marco Layera avec sa troupe a construit une grande fable politique, à l’obédience marxiste, mais révélant en tant que telle les contradictions qui existent entre l’idée d’une compassion des bobos pour les ouvriers, et l’idée même de les appeler à participer à la vie politique et culturelle du pays. L’ensemble grandit dans une frénésie théâtrale renforcée par la beauté insolente des images et des corps grimés dans le luxe et l’impuissance…

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