Critique de spectacle, Critiques de spectacles à Lyon

La Grenouille avait raison de James Thierrée par La Compagnie du Hanneton

Grande salle des Célestins – Spectacle joué du 11 au 23 octobre 2016

Plongés dans un monde onirique, les corps défient les lois de la gravité. On retrouve une fratrie déjantée ainsi qu’une créature mystérieuse. La dernière création de James Thierrée laisse sans voix. Musique, chorégraphie, scénographie, tout participe à créer une ambiance surréaliste, un univers captivant d’une imagination débordante et vecteur d’une intense émotion. Teaser video (credit The Edinburgh International Festival): https://www.youtube.com/watch?v=7Aj8kY78JYk

La fable évoque une mystérieuse créature mi-homme mi-grenouille qui maintient les personnages prisonniers. Peut-être seraient-ce pour se révolter que les corps ne tiennent pas en place ? Ils s’effondrent, se contorsionnent de façon improbable, où se relèvent. James Thierrée et Valérie Doucet forment une fratrie mystérieuse, entre rejet de l’autre, violence des liens du sang, et corps inséparables qui ne se lâchent pas. Les interprètes font montre d’une énergie sidérante et d’une incroyable maîtrise de leurs corps. Ils évoluent au sein d’un décor offrant de nombreuses possibilités de par sa configuration, aussi bien horizontalement que verticalement : fils, cordes, poulies, plates-formes suspendues.

grenouille

© Richard Haughton

La réalité devient alors un concept malléable que chacun modifie à sa guise. C’est à cet endroit que les acrobates se font poètes, déconstruisent le réel, injectent de la poésie et de la magie en formant un nouvel univers qui ne cesse de nous surprendre. Le piano se met à jouer seul, le violon colle à la peau des personnages, se remet à jouer lorsqu’il devrait être brisé par les personnages exaspérés de ne pas parvenir à le maîtriser. Le décor est en perpétuelle mutation, les éléments se déplaçant sans cesse. En réalité, le décor devient même un personnage à part entière, vivant, avec sa propre existence. L’univers qui en résulte, à la fois sombre et onirique fait penser à celui de Tim Burton. D’ailleurs, James Thierrée rappelle le jeu de son grand-père, Charlie Chaplin, mais également celui d’un Johnny Depp dans Edward aux mains d’argent ou Sweeney Todd, et ce de par ses gestes, expressions, et sa figure d’exilé parmi les hommes. Sans doute peut-on y trouver également des références et un hommage à l’expressionnisme allemand dans l’épaisseur de ce conte offrant une vision déformée de la réalité.

Le spectacle ne relève pas de la logique pure et il est vain de tenter de l’expliquer. James Thierée déclare d’ailleurs : « La grenouille avait raison. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Et ni les années qui passent, ni cette scène qui me hante joyeusement ne m’apprennent au fond pourquoi on fait ceci ou cela sur ce grand bateau ivre que l’on appelle théâ… (ce mot a besoin de vacances). » Le spectacle n’appelle aucune réponse car le mystère est ce qui rend le spectacle passionnant, inquiétant et drôle. Il forme un tableau aux multiples interprétations qui ne révèle jamais ses secrets comme pour mieux égarer et captiver le spectateur.

David Pauget

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